La dilution des corps …

L'un, L'autre

Le visage humain est une force vide, un champ de mort. La viieille revendication révolutionnaire d'une forme qui n'a jamais correspondu à son corps, qui partait pour être autre chose que le corps... Le visage humain n'a pas encore travaillé sa face... C'est au peintre à lui donner... Le visage humain porte en effet une espèce de mort perpétuelle sur lui. Au peintre justement de le sauver en lui donnant ses propres traits...
Depuis mille et mille ans que le visage humain parle et respire, on n'a pas encore commencé à dire ce qu'il est et ce qu'il sait... C'est pourquoi, dans les portraits que j'ai dessinés, j'ai évité avant tout d'oublier le nez, la bouche, les yeux, les oreilles ou les cheveux, mais j'ai cherché à faire dire au visage qui me parlait le secret d'une vielle histoire humaine qui a passé comme morte dans les têtes d'Ingres et d'Holbein.
J'ai fait venir parfois, à côté des têtes humaines, des objets, des arbres ou des animaux pour qui je ne suis pas encore sûr des limites auxquelles le corps du moi humain peut s'arrêter. J'en ai d'ailleurs définitivement brisé avec l'art, le style, ou le talent dans tous mes dessins... Aucun n'est à proprement parler une oeuvre, tous sont des ébauches, je veux dire des coups de sonde ou de butoir donnés dans tous les sens du hasard, de la possibilité, de la chance ou de la destinée".

Après l'enfance tout va si vite. La mémoire s'use. Ici un parent oublié, là un aïeul dont on ignore encore le nom. Comme dans la rue ces gens que l'on croit reconnaître, dont les traits semblent familiers. Si on observe attentivement son propre visage dans une glace, bientôt on y voit quelqu'un d'autre. Et chacun garde en évidence un peu d'autrui dans ce regard. Généalogie du souvenir, c'est sur elle-même que Catherine Brachet se livreà cette archéologie singulière. Elle scrute, elle fouille et chaque fois le même visage nous apparaît différemment. Cette succession à l'infini, sur tous les tons, d'images presque identiques de soi, des proches ou des lieux où ils ont vécu constitue un voyage étrange.
Tout se confond. Comme à la fin de la nuit quand le sommeil s'effrite, les bruits du jour se mêlent aux rêves. Tout est possible. C'est l'heure où se côtoient les mondes, le réel et l'imaginaire, l'avant et l'après, notre monde et celui des autres. Où sont les autres ? Dans les livres ? Dans les regards ? Dans ces maisons qu'ils habitèrent ou les objets qu'ils ont tenus ? Où sommes-nous ? Dans l'ombre furtive d'un passant, dans ces adolescents, malhabiles et touchants, auxquels nous avons ressemblé ?

Ce que montre Catherine Brachet, c'est autant le passé dans le vivant que l'inverse. Il, elle. Ici, ailleurs. Qu'il s'agisse d'hier, d'aujourd'hui ou de n'importe quand, c'est toujours de nous dont il est question. De nous uniques et multiples. Deux yeux, deux oreilles, quelques jambes et tant de chimères. Au total il n'y a qu'un monde. Nous sommes tous les autres à la fois.

Bernard Ruhaud

E" La dilution des corps ", voilà une notion poétique qui pourtant se résume en acronyme : A.D.N.. Catherine Brachet explore dans une série d'autoportraits sa genèse personnelle au travers des traits qui composent une partie de son identité actuelle.
C'est une enquête sur la généalogie du vivant. Sa physionomie est une source d'étude, elle " EST " la subdivision ancestrale. Dans sa recherche, elle tente d'appréhender la déclinaison qui résulte d'un même visage dans l'objectif d'entrapercevoir cette multitude de vies qui l'assemble.
Cet enchevêtrement de traits symbolise la continuité d'un être audelà de sa propre existence. Le portrait est alors fruit d'une ligne singulière, vecteur des filiations où s'exprime au travers de sa recherche : " la dilution des corps ".

Emmanuel Dissais